16 août 2015

Fable

L'Indien et la civilisation

 

Un jeune indien aux yeux d'ébène
Quitta un jour ses terres sauvages,
Voulant découvrir la vie urbaine
Avant d'atteindre le grand âge.

Sur son chemin, il rencontra un loup
Qui lui tint le discours suivant :
« Enfuis-toi, jeune inconscient,
Si tu ne veux point devenir fou.

La civilisation est une dangereuse prison
Dans laquelle il n'y a ni ciel ni horizon.
Tes chaînes invisibles te lieront
A un insaisissable patron.

Ta liberté tu perdras
Pour quelque confort superflu,
Et ta jeunesse trépassera
Pour un travail discontinu.

L'air gangréné affectera ta santé,
L'ombre des bâtiments viendra te hanter,
Puis tu finiras désorienté
Dans un monde désenchanté. »

L'Indien écouta, mais son désir d'aventure l'emporta.
Il poursuivit son chemin où il rencontra
Un troupeau de moutons qui l'interpella :
« Jeune indien, que fais-tu là ?

Je veux découvrir le monde et la civilisation ! »
Répondit l'audacieux avec détermination.
« Quelle drôle d'idée !
Souhaites-tu donc nous ressembler ?

Il est vrai qu'il est aisé de suivre,
Cela nous garantit sûreté et harmonie,
Nous avons seul le soin de vivre,
Sans esclandre ni conflit.

Le berger nous commande et nous dirige,
Nous ôtant les ennuis de la réflexion,
Et faisant disparaître les vestiges
D'immémoriales rébellions. »

La curiosité de l'Indien s'accrut,
Si bien qu'il atteignit la ville.
Là, les immeubles obstruèrent sa vue
Et le firent demeurer immobile.

Le temps semblait s'être arrêté
Entre les ruelles étroites et resserrées.
Et les ténèbres s'étaient installées
Entre les murs de la cité.

La terre promise, la terre des miracles
N'offrait, en fait, qu'un terrible spectacle.
Les cieux, devenus de sombres tombeaux,
Ne recueillaient plus que des rêves en lambeaux.

Devant ses yeux, des hommes identiques
Adoptaient une démarche empressée
Courant après quelque dessein étranger
A leur existence insolite.

L'Indien pénétra au cœur de ce ballet étrange,
Où des âmes esseulées vêtues de misère,
Se complaisaient dans la poussière et la fange
De cette immense ville ouvrière.

Il arrêta un passant à l'allure sévère :
« Monsieur, que signifie cette hâte collective ? »
Et de lui répondre d'une voix austère :
« Nous avons tous des urgences impératives,

Et un travail à accomplir.
Avez-vous du temps pour les loisirs ?
Certes peu, quelques jours par an.
Il faut se préoccuper de gagner de l'argent. »

L'Indien, effrayé, s'enfuit loin de cette prison
Par peur de devenir esclave du béton.
Les paroles du loup et des moutons
Parvenaient au siège de sa raison.

Il comprit quel funeste sort l'attendait,
Car pour vivre dans la sécurité,
Il devrait simplement abandonner
Sa liberté et son humanité.



Julie M.