23 novembre 2015

Une société défaillante

   La France, autrefois rayonnant pays des Lumières, est aujourd'hui devenue le désastreux théâtre de la bassesse humaine. 

   Tout d'abord, il est nécessaire de jeter l'opprobre sur ces terroristes, de vulgaires lâches que la vacuité de l'existence et de l'esprit pousse à des actes ineptes et insanes. Ces êtres fragiles psychologiquement projettent la haine qu'ils ont envers eux-mêmes sur les autres et se laissent séduire par des discours belliqueux nourrissant le monstre qui sommeille en eux et légitimant ainsi leur violence. Leur cruauté n'a d'égale que leur bêtise et leur soif de puissance est révélatrice de leur impuissance à jouir de l'existence. Les massacres qu'ils accomplissent, s'ils les croient grands, sont en fait d'une petitesse absolue. 

   Cependant, le chagrin et la peur ne doivent pas entraver la lucidité. Les terroristes ne sont pas les seuls assassins. Nos gouvernements sont aussi responsables des crimes et il est impératif de les blâmer et de les renverser. La France fait partie de ces pays qui ont fourni des armes à Daech. L'Etat est impliqué directement dans les meurtres commis puisqu'il a laissé grossir cette organisation conquérante et a même contribué à son expansion. Le terrorisme servirait-il des intérêts politiques à des Etats-complices ? Les malheureuses victimes des attentats semblent n'être que les pions d'un gigantesque échiquier. Regardons les évènements de plus près ; nous y décèlerons de nombreuses incohérences. Les individus considérés comme de potentiels terroristes – des individus dangereux, donc, susceptibles de passer à l'acte n'importe quand – sont connus et signalés par une fiche S. Or, ils se promènent librement dans le pays. Certains s'autorisent même quelque petit séjour en Syrie et reviennent sans être interpelé. À quoi servent donc les services de renseignement ? Pourquoi ne les interne-t-on pas ? Le gouvernement nous prouve depuis des années qu'il peut changer et inventer des lois à sa guise, alors pourquoi n'a-t-il pas pris les mesures nécessaires pour prévenir cette tragédie et assurer la sécurité de ses citoyens ? Les policiers n'hésitent pas à arrêter des SDF simplement assis dans la rue sans rien dire pour « trouble de l'ordre public », mais ils sont incapables de fermer des mosquées salafistes et d'interpeler des islamistes en puissance. Et subitement, voilà que l'état d'urgence est déclaré : la police s'active, le gouvernement réagit APRÈS que le mal est survenu. Un climat de peur et d'insécurité règne ; les citoyens sont moins méfiants et acceptent facilement qu'on les prive de leurs droits et de leur liberté afin de se sentir protégés. L'on habitue progressivement le peuple à la dictature grâce à toutes les mesures arbitraires prises en réponse aux attentats qui favorisent une surveillance accrue, un contrôle renforcé de la population. Or, ces mesures, comme bon nombre de lois passées, sont dites provisoires mais risquent d'être appliquées de façon définitive. En outre, l'on peut remettre en question ces mesures vagues et nébuleuses. En effet, le porte-parole Bernard Le Foll s'est exprimé ce mercredi 18 novembre 2015 concernant les perquisitions : « Aucune perquisition administrative ne pourra viser les locaux affectés à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats, des journalistes. » Pourquoi exclure des catégories sociales dans un contexte qui doit concerner tout le monde ? Le Foll a également déclaré que « le régime des assignations à résidence sera élargi à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ». Cette mesure, par son caractère confus, pourrait donner lieu à des dérives totalitaires et à l'avenir ne plus impliquer seulement les terroristes. Si la droite ou le Front National accèdent au pouvoir – la gauche actuellement n'est guère plus apte à gouverner que ces partis autoritaristes –, le chemin vers le despotisme leur sera déjà tout tracé, favorisé par cet état d'urgence liberticide qui semble plus être un prétexte à la restriction des droits qu'une disposition sécuritaire. En outre, le fait que la cote de popularité de Hollande augmente après un attentat (ce qui fut le cas après celui de Charlie Hebdo) est déplorable. Il est plus facile de réagir que de prévenir. Ce n'est pas parce que les hommes politiques n'ont pas de sang sur les mains qu'ils ne sont pas coupables. Hollande et Sarkozy sont aussi les responsables de ces massacres et favorisent, par leur impéritie, la montée de l'extrémisme de droite, la haine sociale, la guerre et la violence. Leurs discours oiseux sont prononcés dans le but d'endormir la population et de lui faire oublier leurs erreurs répréhensibles. Ne nous laissons pas manipuler par ces assassins en costume impeccable qui utilisent les grands mots afin d'éveiller la conscience patriotique des citoyens. N'oublions pas que ces évènements leur sont bénéfiques, que le patriotisme est une gangrène qui sert une élite dirigeante, car la guerre a toujours été profitable à un nombre restreint de personnes, des élus capitalistes avides de pouvoir et de richesses.

   Le traitement de l'information à la télévision est également à blâmer. Où sont l'analyse et l'objectivité dans cette information qui fait appel à l'émotivité et non à la réflexion ? Parler du visage grave du président, mettre des chants républicains en fin de journal sont hors de propos. Les actualités prennent la tournure d'une émission de télé-réalité où des badauds imprudents et insensés risquent leur vie pour prendre des photos et des vidéos au plus près de l'action, sans se soucier de gêner les forces de police. Les journalistes, quant à eux, orientent les masses, les incitant à l'union nationale et à la solidarité qui ne sont autres que la manifestation d'une pensée unique triomphante, tandis qu'au sein de l'Assemblée nationale les élus se dévorent comme au centre d'une arène. 

   Enfin, il est primordial de remettre en question la réaction des citoyens eux-mêmes. Dans les coulisses de ce théâtre morbide se forme une mise en scène populaire immorale. Sur Facebook, les photos de profil qui revêtent un drapeau français sont pour la plupart un prétexte pour se mettre en avant, révélant alors une forme de narcissisme malsain. Si certains seront sincères, une majorité de personnes sautent sur l'occasion de s'afficher, ne réfléchissant pas à l'image qu'ils reflètent. Le drapeau français recouvre alors des photos de fête où des quidams font du surf, boivent un verre, affichent un large sourire tandis que des personnes ont connu l'horreur et sont mortes d'une manière atroce. Désormais, même dans l'émotion, tout le monde réagit de la même manière et accepte qu'une multinationale – Facebook – dicte leur façon de répondre à un événement. Chaque individu réagit différemment dans le deuil, dans la souffrance, de façon générale dans l'émotion, c'est ce qui fait de nous des êtres humains. Or, aujourd'hui, chacun réagit automatiquement, mécaniquement, révélant une absence de personnalité, d'humanité, dans un moment pourtant où la vie humaine est au centre des évènements. Des slogans absurdes circulent tels que « Pray for Paris » alors que nous sommes dans un pays laïc. Les gens prennent des selfies, montrant qu'ils sont là pour paraître et non pour soutenir les familles déchirées, et le chant de la Marseillaise est entonné çà et là par une foule en liesse qui semble oublier les macabres actualités. Ce chant résonne un peu partout en France alors que c'est un chant de guerre au caractère nationaliste qui invite le peuple à s'unir pour aller combattre. Or, ce n'est pas notre guerre mais celle du gouvernement. Le peuple est la victime collatérale d'une lutte qui ne le concerne pas. Les évènements actuels sont le résultat d'un système défaillant dont la démocratie a disparu. L'Etat décide tout sans consulter les principaux intéressés, les citoyens. Lorsque l'Europe a choisi de faire entrer des milliers de migrants, le peuple, à aucun moment, n'a eu droit à un référendum. Les médias filment des manifestations en faveur de cette décision, parlant de mouvement de solidarité. Or, tous ces rassemblements se parent d'un voile d'hypocrisie. L'on pleure les victimes d'un attentat et les réfugiés, alors que cela fait des années que des Français victimes du système capitaliste meurent dans nos rues ou vivent dans des conditions précaires inhumaines. Évidemment, la barbarie est inadmissible, mais il existe plusieurs formes de barbarie et il faut être aveugle pour ne pas voir celle qui sévit sous nos yeux, tous les jours, depuis des années. Ces attentats sont le fruit de problèmes internes à notre pays que nous avons laissé croître en restant passifs. Aujourd'hui, l'on brandit les étendards patriotiques, l'on utilise les grands mots : liberté, égalité, fraternité... Cessons de jouer les hypocrites. Certes, le terrorisme est un mouvement liberticide et obscurantiste. Mais cela fait longtemps que la France a perdu ses couleurs et ses valeurs. Peut-on encore parler de liberté quand le peuple, esclave de la société, dépend d'un patron et d'un salaire pour vivre ou plutôt survivre ? Peut-on encore parler d'égalité quand la justice privilégie les puissants et condamne les petites gens ? Peut-on encore parler de fraternité quand il est encore question d'homophobie, de racisme, d'intolérance ? Ce pays des droits de l'Homme a cessé d'exister depuis longtemps et en ces temps troubles il est nécessaire de ne pas suivre l'instinct grégaire de la population, de se laisser embrigader par l'engouement populaire et de ne pas perdre de vue ceux qui bafouent nos droits humains. Il est temps de replacer l'individu au cœur de la sphère sociétale et de réformer ce système mortifère. Il est temps également de réapprendre à penser, car aujourd'hui l'on ne pense plus. Notre esprit est gouverné par des codes sociaux, par une pensée unique véhiculée par les médias, par un gouvernement hypocrite. N'ayons pas peur d'affirmer nos opinions, surtout si elles vont à l'encontre de la pensée dominante. Le terrorisme est une façade qui masque bon nombre d'enjeux politiques. Bienheureux sont les gouvernements face à la mobilisation citoyenne qu'ils voient comme un immobilisme démocratique. Ce rassemblement massif rassure le peuple quant à son engagement au sein de la société car durant des années, quand l'Etat le privait de ses droits petit à petit en augmentant la TVA, en reculant l'âge de la retraite, en délocalisant des entreprises, en créant la psychose autour du chômage, en réformant les programmes scolaires, en inventant l'esclavagisme moderne, il n'a pas bougé un pouce. Jamais il n'y a eu de manifestation en faveur des pauvres qui sont dans notre pays alors pourquoi cette hypocrite mouvement de solidarité envers les pauvres des autres pays ? Ce sont les ploutocrates qui nous dirigent qui doivent agir et permettre une répartition égale des richesses afin d'enrayer la misère. Ce n'est pas à nous, citoyens moyens qui nous endettons à la fin du mois, d'aider les plus pauvres au risque de les rejoindre. 

   Qu'attendons-nous pour réformer cette société décadente ? La guerre sert les intérêts des mêmes personnes depuis toujours et le grand perdant est toujours le peuple. Le patriotisme est à bannir, car il profite à des partis politiques pernicieux et attise la haine, engendre la violence. Ce qui compte avant tout, c'est la vie humaine, l'existence humaine si brève et pourtant gâchée par les institutions religieuses et politiques qui ont les mêmes ambitions. Le peuple doit reprendre le pouvoir et décider lui-même de l'existence qu'il souhaite avoir. Sinon, il accepte la dictature qui s'instaure progressivement, renonce à son libre-arbitre et se dévêt de son humanité. Les attentats qui ont eu lieu ne sont que le début d'une longue lutte qui ne se joue pas seulement entre les combattants de l'Etat Islamique et l'Occident, mais également entre les dirigeants qui rejettent la démocratie et le peuple qui s'est absenté depuis trop longtemps de la scène publique. 




Julie M.

1 novembre 2015

L'agonie silencieuse de l'Art


   De nos jours, ce sont des œuvres sans réelle qualité artistique qui suscitent l'engouement populaire. Un nivellement vers le bas semble s'opérer dans bon nombre de domaines. Les chansons, les livres ou les films qui ont le plus de succès sont ceux qui ne nécessitent pas une grande réflexion et qui participent au bourrage de crâne des masses. Les artistes engagés ont désormais du mal à se faire une place au sein de ce monde grégaire, d'où la sensibilité esthétique et l'esprit critique semblent avoir disparu. Le culte de la bêtise gagne peu à peu notre société. À l'école, se faire traiter « d'intello » est devenu une insulte et regarder Arte suscite le mépris. Il vaut mieux perdre son temps devant une émission de télé-réalité débilitante plutôt que de s'enrichir intellectuellement devant un film d'auteur par exemple. L'on préfère suivre avec intérêt la non-évolution de personnes inintéressantes, comme si le spectacle médiocre qui se déroule devant nos yeux nous rassure quant à notre propre valeur. Cependant, le spectateur attentif à ces divertissements ridicules se met au même niveau que les singes qui le distraient. Se délectant de la moindre cabriole effectuée par l'un de ces imbéciles heureux de l'être, il participe à cette mascarade inepte. Et quand l'exhibitionniste subit l'opprobre, le voyeur se cache. La plupart des chansons qui passent en boucle à la radio et à la télévision semblent également contribuer à l'abrutissement des masses. Ce sont des rythmes répétitifs qui martèlent les oreilles, des textes insensés, des paroles niaises et incohérentes qui inondent les boîtes de nuit et les casques audio. Quelquefois, lorsque l'on entend ces voix trafiquées et ces sons qui sonnent faux, l'on se demande si l'on peut appeler cela de la musique. Mais la fabrication artificielle ne semble plus poser problème dans une société où même un corps peut être factice. De même, les livres les plus demandés privilégient une écriture simple et des personnages inconsistants, sans profondeur psychologique, à l'instar de certains films dits comiques qui rencontrent un succès disproportionné. Ils sont juste un moyen de s'évader d'un quotidien fade sans toutefois permettre la réflexion et l'analyse.

   La société participe à l'extinction progressive de l'Art sans se douter qu'elle participe dans le même temps à provoquer sa propre perte. Car une société sans art est une société morte. Nul besoin d'inventer le clonage dans une communauté déjà uniforme. L'Art et les sciences humaines sont la clé de l'épanouissement personnel, de l'affirmation d'une identité, d'une personnalité. Or, dans une société régie non seulement par une pensée unique mais aussi par un goût unique – le goût pour des œuvres sans intérêt artistique, des œuvres vides –, les individus deviennent des ombres informes, des animaux qui réagissent au même son de cloche et qui crachent sur une mélodie plus sophistiquée. Réfléchir, analyser, penser par soi-même est devenu trop difficile. C'est pourquoi l'on déserte les filières littéraires. Il faut se sentir utile, répondre aux besoins immédiats de la société. Il faut être solidaire au détriment de son propre épanouissement personnel. Cependant, si chacun prenait le temps de se construire, de cette quête de soi individuelle pourrait peut-être naître une société véritablement solidaire et non hypocritement solidaire. Car le bien-être individuel ne peut qu'engendrer le bien-être collectif.

   Or, bon nombre de personnes font des choses qu'elles n'aiment pas faire tout au long de leur existence. Frustrées, elles se convainquent d'être heureuses. De plus en plus de jeunes cèdent à la pression sociétale et au culte de la bêtise, se retrouvant ainsi dans des filières qui ne leur conviennent pas, scientifiques majoritairement, et finissant à exercer un métier qui ne leur correspondent pas. Ils dénigrent la littérature et les filières artistiques, persuadés de leur inutilité. Les sciences sont également délaissées au profit de la technique. Mais qu'est-ce que la maîtrise de la technique et de l'informatique face à l'éveil spirituel et à la connaissance de soi et du monde ? Les Hommes pensent que le progrès est représenté par toutes les avancées techniques et technologiques. Cependant, le véritable progrès serait de pouvoir se dire libres et affranchis des normes sociales qui conditionnent et emprisonnent les individus. Le véritable progrès serait de pouvoir développer l'esprit critique de chaque enfant pour qu'à terme chacun puisse affirmer son identité et ses opinions. Le véritable progrès serait d'abolir le culte de la bêtise et de revendiquer un système politique égalitaire. Si la mort de l'Art et des sciences humaines signifie la mort d'une société, elle favorise en même temps la naissance d'une dictature. Ce phénomène est flagrant dans certains pays comme le Japon où l'on veut fermer de multiples universités de sciences humaines. En France, cela se fait de façon plus subtile à cause de l'accord tacite des masses et de la pression sociale qui s'opère. N'oublions pas que c'est l'Art qui élève l'Homme au-dessus de sa condition. Lorsqu'un écrivain meurt, c'est son œuvre qui survit au temps. C'est également l'Art qui peut permettre de faire évoluer les lois, les mœurs, les codes d'une société. Aussi les dirigeants d'aujourd'hui ont-ils tout intérêt à ce que l'Art meure et soit remplacé par ces succédanés d'art que sont la télévision et tous ces produits superficiels et commerciaux. 


Julie M.

24 octobre 2015

Fable

La complainte de la Colombe


Dame Colombe avait atteint l'âge
Où elle pouvait voler de ses propres ailes.
Elle avait longtemps contemplé le ciel
Dans l'attente du tant espéré voyage.

Elle quitta un jour ses consœurs
Avec un pincement au cœur.
Puis, l'âme légère, elle s'éloigna
Pleine de grâce, le cœur en joie.

Elle survola, enthousiaste et charmée,
Mille et un territoires merveilleux
Où la nature, maîtresse des lieux,
S'imposait avec splendeur et majesté.

Elle se laissa porter par la brise marine
Et contempla la pureté océane où se terminent
Le tumulte du monde, le bruit sourd des machines
Qu'elle avait entendus par-delà les collines.

La caresse du vent sur ses ailes
Emplissait son âme d'une ardeur nouvelle.
La rumeur douce de l'onde claire
Se mêlant aux couleurs crépusculaires

Embrasait sa poitrine chétive
Et provoquait en elle une ivresse inéprouvée.
Alors elle virevoltait, telle une danseuse éthérée,
Entre l'écume et les vagues fugitives.

Or, un jour, elle se posa sur le coin d'un toit
Qui surplombait un passage étroit.
Soudain, un jeune garçon surgit,
Les yeux effrayés, le visage interdit.

Sous les pattes de Dame Colombe
Eut lieu un effroyable spectacle.
Les murs autour de l'impasse, comme autant d'obstacles,
Présageaient, hélas, une sinistre tombe.

Une dizaine d'hommes armés jusqu'aux dents
Se jetèrent sur le malheureux innocent.
À la fin, il ne resta plus qu'un corps meurtri
Que Dame Colombe fixait, le cœur anéanti.

Plus tard, elle assista à la mort d'un jeune enfant
Qui survint après une lente agonie.
Il s'éteignit seul, telle une fleur qui se flétrit,
Tel un frêle brin d'herbe emporté par le vent.

L'oiseau dévasté battit des ailes avec force,
Voulant oublier ces visions atroces.
Cependant, il atterrit dans un funeste désert
Où la fumée des bombes recouvrait la terre.

Là, des membres et des chairs ignescentes
Jonchaient un sol devenu tombeau.
Les ténèbres enveloppaient de leur sombre manteau
Le spectre d'une cité inquiétante.

« Où sont donc les prairies verdoyantes
Et les beautés célestes que j'ai vues ? »
S'inquiéta Dame Colombe, l'esprit confus.
« Le chaos règne sur des âmes absentes,

Détruit l'innocence et la magnificence.
Est-ce par bêtise ou par folie
Que l'Homme, avide de toute-puissance,
Brise dans chaque recoin du monde le moindre fragment de vie ? »

À ces mots, Dame Colombe pleura, le cœur serré.
Et ses larmes ne cessèrent de couler
Dès lors qu'une journée paraissait et disparaissait,
Se transformant chaque fois en perles de rosée.


Julie M.

21 octobre 2015

Les écrans, miroirs de l'âme


   Les écrans sont aujourd'hui omniprésents. Ils nous entourent, nous captivent, attirent notre attention où que nous allions, où que nous nous trouvions, où que nous regardions. Ils dirigent nos vies, comblent nos existences, régissent nos émotions. Aujourd'hui, rares sont les regards qui contemplent les visages autour d'eux, le ciel qui les surplombe, les feuilles des arbres agitées par le vent. Bienheureux sont les politiques et leurs acolytes, ces charlatans du XXI° siècle. Les yeux rivés sur sa petite boîte à merveilles, l'homme moderne oublie le monde qui l'entoure et, aveugle, poursuit sa course sisyphéenne au cœur de la jungle sociétale. Devenu incapable de rêver, il est fasciné par ce succédané de magie qu'est la technologie. La télévision, le portable, la tablette, l'ordinateur, comme des récompenses bien méritées, lui ôtent les ennuis de la réflexion et l'hypnotisent le temps d'un jeu, d'une émission, d'un téléfilm. Chez lui ou dehors, l'homme moderne semble chercher un exutoire à sa solitude, une compagnie virtuelle, une occupation stérile. Il veut être « connecté », mais connecté à quoi ? Au troupeau populaire sans doute. Il veut appartenir à un groupe, cherche une reconnaissance sociale. Or, pour être accepté, il faut paraître dynamique, avoir sans cesse l'air occupé, affairé, empressé. Il faut être actif. L'oisiveté – ou prendre le temps de vivre – engendre la culpabilité. Rester sans rien faire pèse désormais sur la conscience. L'homme moderne n'a plus le temps de réfléchir, de contempler les petits riens de l'existence, de se poser et de prendre du recul sur les choses. Il faut trouver un emploi avant d'être montré du doigt ou de finir à la rue. Et les rares moments où l'on ne se presse pas, on repose son esprit, on le met en veille et on laisse les écrans s'animer à notre place. Dès l'enfance, l'on nous pousse à savoir le métier auquel on doit être destiné. Mais, alors que l'on ne nous laisse pas le temps d'apprendre à nous connaître nous-mêmes, toujours assaillis par des devoirs et des contraintes diverses, comment pouvons-nous savoir ce qui nous correspond ? La quête de soi peut prendre toute une vie. Il est essentiel d'apprendre à se connaître pour évoluer, s'épanouir et accéder ainsi à une forme de bonheur, de plénitude. Mais dans une société déshumanisante telle que la nôtre où l'art et les sciences humaines s'éteignent peu à peu, est-il encore possible de trouver sa voie ? Plutôt que d'être asservis à la technologie, pourquoi ne la mettons-nous pas à notre service afin de préserver cette liberté fondamentale, le droit de vivre et de s'épanouir ?

   Aujourd'hui, la vie d'un homme se résume à un quotidien aliénant, se répétant inlassablement chaque jour. Dans nos sociétés modernes, nous courons sans cesse pour ne pas être en retard au travail, pour remplir notre devoir de citoyen, pour satisfaire le plus de personnes possibles, pour ne jamais décevoir quiconque. N'est-ce pas insensé ? Le monde va de plus en plus vite, comme s'il voulait accélérer sa chute. Nous courons, nous courons, mais c'est le même destin qui nous attend tous. À quoi bon se dépêcher si c'est pour passer à côté des plus belles choses qui font que la vie vaut la peine d'être vécue ? Quel intérêt avons-nous à courir pour passer nos journées entières dans un bureau, assis derrière un ordinateur, pour générer du profit qui ne nous profitera pas ? Quel intérêt avons-nous à courir pour passer la moitié de notre temps dans des transports en commun à l'allure de cercueils ambulants ? Quel intérêt avons-nous à courir pour gagner un infime salaire et quelque congé éphémère ? Enfin, quel intérêt avons-nous à vivre comme les ombres de nous-mêmes ? Nous pouvions construire un paradis terrestre et nous avons créé l'enfer, nous condamnant nous-mêmes à errer tels des fantômes qui n'ont même pas conscience de l'être au milieu de cette triste existence. Alors nous vivons par procuration. Les émissions de télé-réalité ont une fonction cathartique pour le téléspectateur. Les émotions y sont exacerbées et les situations dramatisées. Une atmosphère tragique émane des plateaux télévisés où la simple réponse à une question, le choix d'un prétendant, la façon de cuisiner un plat semblent devenir des problématiques d'ordre vital. Et quand il s'agit de montrer la guerre, la mort, le sort malheureux de certaines personnes, cela fait l'objet d'un spectacle monstrueux qui permet au téléspectateur d'être soulagé quant à ses propres conditions de vie.

   Si la vie de l'homme moderne n'a rien d'exaltant du fait de cette existence insipide, il va cependant se mettre en scène pour ainsi se convaincre, se donner l'illusion qu'il vainc l'ennui et la vacuité de ses journées toutes identiques. Sur le marché du travail et par extension sur le marché social, l'individu cède à la prostitution. Tout devient prétexte à se vendre, à parler de soi, à valoriser ses compétences, son physique. Il y a la prostitution médiatique qui offrent aux personnes passant à la télévision ou faisant « le buzz » sur Internet d'intéressantes perspectives quant à l'effet que produira leur image par la suite. Il y a la prostitution sur le marché de l'emploi où la vente de soi s'opère par le biais d'ineptes curriculum vitae et entretiens d'embauche qui encouragent le mensonge et l'hypocrisie. Enfin, il y a la prostitution sociale qui sous-tend une volonté d'être admis au sein d'une communauté et qui fleurit sur la toile grâce aux réseaux sociaux. Le culte de soi, la mise en scène de sa propre existence sont révélateurs d'un narcissisme indécent et risible. Dorénavant, l'on cultive son image et non son esprit. Les écrans deviennent le reflet de notre égocentrisme.

   Même éteint, l'écran se fait le miroir de nos âmes déchues ; l'esprit mort de l'homme moderne semble se refléter dans le noir abyssal qui lui fait face.  



Julie M.

11 octobre 2015



« J'accuse »

     Nous sommes entrés dans une nouvelle ère obscurantiste que les médias, la télévision, la publicité, le divertissement, les politiques tendent à promouvoir et à renforcer. Nous sommes entrés dans l'ère de l'illusion, du bonheur illusoire. Le monde autour de nous est empli de paradoxes et de contradictions. Avec l'avènement des réseaux sociaux et des outils ultra-connectés, nous sommes pourtant de plus en plus retranchés dans la solitude, nous devenons de plus en plus individualistes. Nous avons besoin d'Internet, des applications sur smartphone pour séduire, communiquer, établir des liens avec les autres. Ce sont des regards fuyants et timides qui se croisent furtivement dans le métro à l'heure de l'hyper-communication et de l'interactivité universelle. Alors que nous sommes inondés d'informations à longueur de journée et que nous avons librement accès à la culture, notre société décline progressivement : nous nous complaisons dans la médiocrité, nous ne savons plus nous exprimer, nous nous intéressons à des frivolités et des banalités quotidiennes, nous nous laissons aller au voyeurisme en nous nourrissant de télé-réalité et d'images impudentes. Depuis la seconde guerre mondiale, nous avons revendiqué la transparence de l'information. Mais quelle information ? Car c'est bien un flot de non-information qui submerge les écrans de télévision et les journaux populaires. Combler le vide par le vide est devenu une stratégie de manipulation efficace, car cela permet d'éloigner les citoyens des préoccupations importantes et des problèmes sociétaux. Tandis que la Terre vit désormais sur ses réserves, nous continuons de penser à notre confort personnel et à consommer plus que nous ne devrions. Nous encourageons le sport et le business qui l'accompagne tandis que des lois restreignant nos libertés et nos droits sont votées et appliquées.

     La démocratie est morte, mais elle continue d'être maintenue de façon apparente afin de rassurer le peuple et de conforter son rôle au sein du système. Nous votons pour des personnes qu'on a choisies pour nous et nous n'avons jamais le droit d'exprimer nos opinions par le biais de référendums. Car c'est un système ploutocratique, une oligarchie discrète, un fascisme déguisé qui se sont mis en place progressivement ces dernières années, et ce à l'insu de tous. Il est temps de couper les ficelles qui animent nos pantins politiques et de récupérer le pouvoir qui nous a été dérobé par les véritables dirigeants : les banques, les industriels, les multinationales. Ce sont eux qui ont pris le contrôle de nos sociétés et qui nous volent notre liberté en instaurant une nouvelle forme d'esclavagisme. Car oui, nous sommes devenus des esclaves. Contrairement aux esclaves qui peuplent notre imaginaire collectif, nous nous croyons libres, nous nous croyons heureux, car les maîtres qui nous asservissent contrôlent nos esprits et nous conditionnent, dès l'école, à aimer notre servitude. Combien de fois les médias évoquent-ils les bienfaits du travail ? C'est grâce au travail que l'individu peut s'épanouir socialement et personnellement. Ce concept, devenu un leitmotiv au sein de la société exprimé de façon subliminale à l'école, puis relayé par les médias et l'opinion publique, contribue à l'endoctrinement social. Nous ne travaillons pas pour nous, mais pour des puissances omnipotentes qui puisent leur confort et leurs richesses dans notre énergie et notre temps. Nous passons plus de la moitié de nos journées au travail en croyant que cela accroît notre bien-être. Or, cela nous éloigne de nos proches, des loisirs, des plaisirs de l'existence, de la culture, du savoir, du bonheur. Épuisés par les transports et la concentration que requiert un emploi, le salarié ne songe qu'à se vider l'esprit en rentrant chez lui, à se plonger dans des divertissements absurdes qui font plus appel à son émotivité qu'à sa réflexion et qui lui font oublier sa condition. Satisfait par sa stabilité sociale, il n'ambitionne pas un statut ou un confort plus grand et ne craint pas de descendre l'échelle sociétale. Il se complaît ainsi dans une stagnation domestique susceptible de geler son esprit et son sens critique tandis qu'un avenir sombre se dessine autour de lui. La régression intellectuelle, le culte de l'ignorance sont à bannir de nos modes de vie modernes. Nous nous devons, au moins par orgueil, de préserver ce qui fait de nous des êtres humains : la spiritualité et l'éveil de la conscience. Rejetons la pensée unique et commençons à réfléchir sur nous-mêmes, sur ce que nous désirons réellement. Posons-nous les bonnes questions : sommes-nous heureux ou avons-nous décider de l'être – ou plutôt de faire semblant de l'être – parce qu'être malheureux est inconcevable dans une société qui prône le bien-être, le dynamisme, la jouissance ? Une autre société n'est-elle pas possible ? Sommes-nous condamnés à accepter le capitalisme ? Pourquoi ne pourrions-nous prétendre à une existence plus paisible, d'où la prééminence du travail serait exclue ? Sommes-nous véritablement libres dans ces villes de plus en plus surveillées, de plus en plus contrôlées ?

     Big Brother n'est plus très loin. Il se rapproche avec détermination, prêt à s'emparer des âmes des citoyens aveugles. La Loi relative au Renseignement permettant une surveillance massive des Français va entrer en vigueur. Le droit à la vie privée ne deviendra plus qu'un souvenir vague et les individus seront espionnés sans le savoir. Les critères permettant de repérer un éventuel suspect étant tenus secrets, des dérives judiciaires pourront être commises en toute légalité. La sécurité est devenue un prétexte servant le contrôle de la population. La peur du terrorisme permet la mise en application d'une surveillance exacerbée et superfétatoire, sachant que les tueurs islamistes qui sont passés à l'acte étaient déjà fichés et repérés. Cela pose une question troublante : les actions terroristes sont-elles une aubaine pour les dirigeants puisqu'elles accélèrent le processus de contrôle des masses ? Dans un climat de crainte et d'inquiétude, l'abrogation des libertés et des droits fondamentaux se fait plus facilement puisqu'il s'agit de le faire « pour le bien des citoyens ». L'utilisation d'un vocabulaire choisi permet d'ailleurs d'endormir le peuple, de le rassurer quant aux intentions réelles qui menacent sa vie au sein de la communauté. Le terme de « renseignement » qui se veut neutre, sans connotation malsaine, est moins violent que le terme de « contrôle », plus austère, plus arbitraire. Or, le renseignement, c'est-à-dire la connaissance, le savoir, la mainmise sur les informations, favorise forcément le contrôle et le pouvoir. Un Etat qui sait tout de ses citoyens, ses habitudes, ses goûts, ses loisirs, peut agir en conséquence et utiliser cette connaissance dans le but de servir ses propres intérêts. Sur le long terme, une fois la loi adoptée et assimilée, il ne s'agira plus nécessairement de prévenir une quelconque menace terroriste. Tout individu soupçonné d'être une menace contre le système en place pourra être repéré et arrêté. Il faudra donc se fondre dans la masse, devenir le pantin d'un théâtre arbitraire, faire attention à chacun des mots que l'on prononce, aux sites que l'on visite. Il faudra accepter d'être une ombre, une fourmi invisible, car penser par soi-même pourra bien devenir un crime, une menace dangereuse à l'encontre de la stabilité sociale. 



Julie M.

16 août 2015

Fable

L'Indien et la civilisation

 

Un jeune indien aux yeux d'ébène
Quitta un jour ses terres sauvages,
Voulant découvrir la vie urbaine
Avant d'atteindre le grand âge.

Sur son chemin, il rencontra un loup
Qui lui tint le discours suivant :
« Enfuis-toi, jeune inconscient,
Si tu ne veux point devenir fou.

La civilisation est une dangereuse prison
Dans laquelle il n'y a ni ciel ni horizon.
Tes chaînes invisibles te lieront
A un insaisissable patron.

Ta liberté tu perdras
Pour quelque confort superflu,
Et ta jeunesse trépassera
Pour un travail discontinu.

L'air gangréné affectera ta santé,
L'ombre des bâtiments viendra te hanter,
Puis tu finiras désorienté
Dans un monde désenchanté. »

L'Indien écouta, mais son désir d'aventure l'emporta.
Il poursuivit son chemin où il rencontra
Un troupeau de moutons qui l'interpella :
« Jeune indien, que fais-tu là ?

Je veux découvrir le monde et la civilisation ! »
Répondit l'audacieux avec détermination.
« Quelle drôle d'idée !
Souhaites-tu donc nous ressembler ?

Il est vrai qu'il est aisé de suivre,
Cela nous garantit sûreté et harmonie,
Nous avons seul le soin de vivre,
Sans esclandre ni conflit.

Le berger nous commande et nous dirige,
Nous ôtant les ennuis de la réflexion,
Et faisant disparaître les vestiges
D'immémoriales rébellions. »

La curiosité de l'Indien s'accrut,
Si bien qu'il atteignit la ville.
Là, les immeubles obstruèrent sa vue
Et le firent demeurer immobile.

Le temps semblait s'être arrêté
Entre les ruelles étroites et resserrées.
Et les ténèbres s'étaient installées
Entre les murs de la cité.

La terre promise, la terre des miracles
N'offrait, en fait, qu'un terrible spectacle.
Les cieux, devenus de sombres tombeaux,
Ne recueillaient plus que des rêves en lambeaux.

Devant ses yeux, des hommes identiques
Adoptaient une démarche empressée
Courant après quelque dessein étranger
A leur existence insolite.

L'Indien pénétra au cœur de ce ballet étrange,
Où des âmes esseulées vêtues de misère,
Se complaisaient dans la poussière et la fange
De cette immense ville ouvrière.

Il arrêta un passant à l'allure sévère :
« Monsieur, que signifie cette hâte collective ? »
Et de lui répondre d'une voix austère :
« Nous avons tous des urgences impératives,

Et un travail à accomplir.
Avez-vous du temps pour les loisirs ?
Certes peu, quelques jours par an.
Il faut se préoccuper de gagner de l'argent. »

L'Indien, effrayé, s'enfuit loin de cette prison
Par peur de devenir esclave du béton.
Les paroles du loup et des moutons
Parvenaient au siège de sa raison.

Il comprit quel funeste sort l'attendait,
Car pour vivre dans la sécurité,
Il devrait simplement abandonner
Sa liberté et son humanité.



Julie M.