L'agonie
silencieuse de l'Art
De
nos jours, ce sont des œuvres sans réelle qualité artistique qui
suscitent l'engouement populaire. Un nivellement vers le bas semble
s'opérer dans bon nombre de domaines. Les chansons, les livres ou
les films qui ont le plus de succès sont ceux qui ne nécessitent
pas une grande réflexion et qui participent au bourrage de crâne
des masses. Les artistes engagés ont désormais du mal à se faire
une place au sein de ce monde grégaire, d'où la sensibilité
esthétique et l'esprit critique semblent avoir disparu. Le culte de
la bêtise gagne peu à peu notre société. À l'école, se faire
traiter « d'intello » est devenu une insulte et regarder
Arte suscite le mépris. Il vaut mieux perdre son temps devant une
émission de télé-réalité débilitante plutôt que de s'enrichir
intellectuellement devant un film d'auteur par exemple. L'on préfère
suivre avec intérêt la non-évolution de personnes inintéressantes,
comme si le spectacle médiocre qui se déroule devant nos yeux nous
rassure quant à notre propre valeur. Cependant, le spectateur
attentif à ces divertissements ridicules se met au même niveau que
les singes qui le distraient. Se délectant de la moindre cabriole
effectuée par l'un de ces imbéciles heureux de l'être, il
participe à cette mascarade inepte. Et quand l'exhibitionniste subit
l'opprobre, le voyeur se cache. La plupart des chansons qui passent
en boucle à la radio et à la télévision semblent également
contribuer à l'abrutissement des masses. Ce sont des rythmes
répétitifs qui martèlent les oreilles, des textes insensés, des
paroles niaises et incohérentes qui inondent les boîtes de nuit et
les casques audio. Quelquefois, lorsque l'on entend ces voix
trafiquées et ces sons qui sonnent faux, l'on se demande si l'on
peut appeler cela de la musique. Mais la fabrication artificielle ne
semble plus poser problème dans une société où même un corps
peut être factice. De même, les livres les plus demandés
privilégient une écriture simple et des personnages inconsistants,
sans profondeur psychologique, à l'instar de certains films dits
comiques qui rencontrent un succès disproportionné. Ils sont juste
un moyen de s'évader d'un quotidien fade sans toutefois permettre la
réflexion et l'analyse.
La
société participe à l'extinction progressive de l'Art sans se
douter qu'elle participe dans le même temps à provoquer sa propre
perte. Car une société sans art est une société morte. Nul besoin
d'inventer le clonage dans une communauté déjà uniforme. L'Art et
les sciences humaines sont la clé de l'épanouissement personnel, de
l'affirmation d'une identité, d'une personnalité. Or, dans une
société régie non seulement par une pensée unique mais aussi par
un goût unique – le goût pour des œuvres sans intérêt
artistique, des œuvres vides –, les individus deviennent des
ombres informes, des animaux qui réagissent au même son de cloche
et qui crachent sur une mélodie plus sophistiquée. Réfléchir,
analyser, penser par soi-même est devenu trop difficile. C'est
pourquoi l'on déserte les filières littéraires. Il faut se sentir
utile, répondre aux besoins immédiats de la société. Il faut être
solidaire au détriment de son propre épanouissement personnel.
Cependant, si chacun prenait le temps de se construire, de cette
quête de soi individuelle pourrait peut-être naître une société
véritablement solidaire et non hypocritement solidaire. Car le
bien-être individuel ne peut qu'engendrer le bien-être collectif.
Or,
bon nombre de personnes font des choses qu'elles n'aiment pas faire
tout au long de leur existence. Frustrées, elles se convainquent
d'être heureuses. De plus en plus de jeunes cèdent à la pression
sociétale et au culte de la bêtise, se retrouvant ainsi dans des
filières qui ne leur conviennent pas, scientifiques majoritairement,
et finissant à exercer un métier qui ne leur correspondent pas. Ils
dénigrent la littérature et les filières artistiques, persuadés
de leur inutilité. Les sciences sont également délaissées au
profit de la technique. Mais qu'est-ce que la maîtrise de la
technique et de l'informatique face à l'éveil spirituel et à la
connaissance de soi et du monde ? Les Hommes pensent que le
progrès est représenté par toutes les avancées techniques et
technologiques. Cependant, le véritable progrès serait de pouvoir
se dire libres et affranchis des normes sociales qui conditionnent et
emprisonnent les individus. Le véritable progrès serait de pouvoir
développer l'esprit critique de chaque enfant pour qu'à terme
chacun puisse affirmer son identité et ses opinions. Le véritable
progrès serait d'abolir le culte de la bêtise et de revendiquer un
système politique égalitaire. Si la mort de l'Art et des sciences
humaines signifie la mort d'une société, elle favorise en même
temps la naissance d'une dictature. Ce phénomène est flagrant dans
certains pays comme le Japon où l'on veut fermer de multiples universités
de sciences humaines. En France, cela se fait de façon plus subtile
à cause de l'accord tacite des masses et de la pression sociale qui
s'opère. N'oublions pas que c'est l'Art qui élève l'Homme
au-dessus de sa condition. Lorsqu'un écrivain meurt, c'est son œuvre
qui survit au temps. C'est également l'Art qui peut permettre de
faire évoluer les lois, les mœurs, les codes d'une société. Aussi
les dirigeants d'aujourd'hui ont-ils tout intérêt à ce que l'Art
meure et soit remplacé par ces succédanés d'art que sont la
télévision et tous ces produits superficiels et commerciaux.
Julie M.
Bonjour Julie,
RépondreSupprimermerci encore une fois pour ton esprit critique indépendant.
En te lisant, tu m'apportes une bouffée d'air et le sentiment de ne pas être seul à constater le mépris grandissant pour toutes les formes d'art qui nous élèvent. Cependant, un tel constat ne me décourage pas mais me donne encore plus l'envie d'inverser la tendance en ajoutant jour après jour, ma pierre au mouvement d'éveil citoyen.
Merci encore.
Stef
“Il n'est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage.” Périclès