1 novembre 2015

L'agonie silencieuse de l'Art


   De nos jours, ce sont des œuvres sans réelle qualité artistique qui suscitent l'engouement populaire. Un nivellement vers le bas semble s'opérer dans bon nombre de domaines. Les chansons, les livres ou les films qui ont le plus de succès sont ceux qui ne nécessitent pas une grande réflexion et qui participent au bourrage de crâne des masses. Les artistes engagés ont désormais du mal à se faire une place au sein de ce monde grégaire, d'où la sensibilité esthétique et l'esprit critique semblent avoir disparu. Le culte de la bêtise gagne peu à peu notre société. À l'école, se faire traiter « d'intello » est devenu une insulte et regarder Arte suscite le mépris. Il vaut mieux perdre son temps devant une émission de télé-réalité débilitante plutôt que de s'enrichir intellectuellement devant un film d'auteur par exemple. L'on préfère suivre avec intérêt la non-évolution de personnes inintéressantes, comme si le spectacle médiocre qui se déroule devant nos yeux nous rassure quant à notre propre valeur. Cependant, le spectateur attentif à ces divertissements ridicules se met au même niveau que les singes qui le distraient. Se délectant de la moindre cabriole effectuée par l'un de ces imbéciles heureux de l'être, il participe à cette mascarade inepte. Et quand l'exhibitionniste subit l'opprobre, le voyeur se cache. La plupart des chansons qui passent en boucle à la radio et à la télévision semblent également contribuer à l'abrutissement des masses. Ce sont des rythmes répétitifs qui martèlent les oreilles, des textes insensés, des paroles niaises et incohérentes qui inondent les boîtes de nuit et les casques audio. Quelquefois, lorsque l'on entend ces voix trafiquées et ces sons qui sonnent faux, l'on se demande si l'on peut appeler cela de la musique. Mais la fabrication artificielle ne semble plus poser problème dans une société où même un corps peut être factice. De même, les livres les plus demandés privilégient une écriture simple et des personnages inconsistants, sans profondeur psychologique, à l'instar de certains films dits comiques qui rencontrent un succès disproportionné. Ils sont juste un moyen de s'évader d'un quotidien fade sans toutefois permettre la réflexion et l'analyse.

   La société participe à l'extinction progressive de l'Art sans se douter qu'elle participe dans le même temps à provoquer sa propre perte. Car une société sans art est une société morte. Nul besoin d'inventer le clonage dans une communauté déjà uniforme. L'Art et les sciences humaines sont la clé de l'épanouissement personnel, de l'affirmation d'une identité, d'une personnalité. Or, dans une société régie non seulement par une pensée unique mais aussi par un goût unique – le goût pour des œuvres sans intérêt artistique, des œuvres vides –, les individus deviennent des ombres informes, des animaux qui réagissent au même son de cloche et qui crachent sur une mélodie plus sophistiquée. Réfléchir, analyser, penser par soi-même est devenu trop difficile. C'est pourquoi l'on déserte les filières littéraires. Il faut se sentir utile, répondre aux besoins immédiats de la société. Il faut être solidaire au détriment de son propre épanouissement personnel. Cependant, si chacun prenait le temps de se construire, de cette quête de soi individuelle pourrait peut-être naître une société véritablement solidaire et non hypocritement solidaire. Car le bien-être individuel ne peut qu'engendrer le bien-être collectif.

   Or, bon nombre de personnes font des choses qu'elles n'aiment pas faire tout au long de leur existence. Frustrées, elles se convainquent d'être heureuses. De plus en plus de jeunes cèdent à la pression sociétale et au culte de la bêtise, se retrouvant ainsi dans des filières qui ne leur conviennent pas, scientifiques majoritairement, et finissant à exercer un métier qui ne leur correspondent pas. Ils dénigrent la littérature et les filières artistiques, persuadés de leur inutilité. Les sciences sont également délaissées au profit de la technique. Mais qu'est-ce que la maîtrise de la technique et de l'informatique face à l'éveil spirituel et à la connaissance de soi et du monde ? Les Hommes pensent que le progrès est représenté par toutes les avancées techniques et technologiques. Cependant, le véritable progrès serait de pouvoir se dire libres et affranchis des normes sociales qui conditionnent et emprisonnent les individus. Le véritable progrès serait de pouvoir développer l'esprit critique de chaque enfant pour qu'à terme chacun puisse affirmer son identité et ses opinions. Le véritable progrès serait d'abolir le culte de la bêtise et de revendiquer un système politique égalitaire. Si la mort de l'Art et des sciences humaines signifie la mort d'une société, elle favorise en même temps la naissance d'une dictature. Ce phénomène est flagrant dans certains pays comme le Japon où l'on veut fermer de multiples universités de sciences humaines. En France, cela se fait de façon plus subtile à cause de l'accord tacite des masses et de la pression sociale qui s'opère. N'oublions pas que c'est l'Art qui élève l'Homme au-dessus de sa condition. Lorsqu'un écrivain meurt, c'est son œuvre qui survit au temps. C'est également l'Art qui peut permettre de faire évoluer les lois, les mœurs, les codes d'une société. Aussi les dirigeants d'aujourd'hui ont-ils tout intérêt à ce que l'Art meure et soit remplacé par ces succédanés d'art que sont la télévision et tous ces produits superficiels et commerciaux. 


Julie M.

1 commentaire:

  1. Bonjour Julie,

    merci encore une fois pour ton esprit critique indépendant.
    En te lisant, tu m'apportes une bouffée d'air et le sentiment de ne pas être seul à constater le mépris grandissant pour toutes les formes d'art qui nous élèvent. Cependant, un tel constat ne me décourage pas mais me donne encore plus l'envie d'inverser la tendance en ajoutant jour après jour, ma pierre au mouvement d'éveil citoyen.
    Merci encore.
    Stef
    “Il n'est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage.” Périclès

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